M. Hulot n’est pas l’écologie

M. Hulot a déclaré mercredi 18 avril, à Nantes : « L’écologie n’est pas l’anarchie. » M. Hulot, ministre de la Transition écologique, parle comme s’il avait une légitimité à parler d’écologie. Cette prétention paraît infondée de la part d’un homme qui possède six voitures, et n’a cessé depuis qu’il est ministre de prendre des décisions contraires à la protection de l’environnement : autorisation du contournement autoroutier de Strasbourg, autorisation du contournement autoroutier de Rouen, autorisation du permis d’exploration de Total au large de la Guyane, soutien à la centrale de Gardanne, etc.

En fait, M. Hulot n’est que le jouet d’un gouvernement dont la politique est tout sauf écologique. Il se réduit à lui apporter son crédit auprès de l’opinion publique.

L’analyse politique de M. Hulot est d’une affligeante médiocrité, à moins qu’il ne s’agisse de cynisme : le même homme peut écrire « Osons dire que la violence capitaliste a colonisé tous les cercles du pouvoir » [1] et faire partie du gouvernement néolibéral dont la violence politique et répressive n’a d’égale que celle de Margaret Thatcher en Angleterre dans les années 1980. Et quand il prétend que « l’écologie n’est pas l’anarchie », il témoigne de son ignorance et de la pensée écologique et de ce qu’est l’anarchie.

« Nous pouvons être plus heureux avec moins d’opulence, car dans une société sans privilège, il n’y a pas de pauvres »

Comme l’explique très bien Wikipedia — un instrument typiquement anarchiste dans son mode de fonctionnement —, « l’anarchie désigne l’état d’un milieu social sans gouvernement, la situation d’une société où il n’existe pas de chef, pas d’autorité unique, autrement dit où chaque sujet ne peut prétendre à un pouvoir sur l’autre. Il peut exister une organisation, un pouvoir politique ou même plusieurs, mais pas de domination unique ayant un caractère coercitif ».

Or presque tous les penseurs qui ont réfléchi à ce qu’implique la prise en compte de la question écologique dans l’organisation sociale se sont référés directement ou non à l’anarchie, tandis qu’aucun de ceux qui comptent dans ce courant de pensée ne revendique un pouvoir autoritaire ou centralisé. Un des premiers théoriciens européens de l’écologie, Élisée Reclus — auteur de la phrase magnifique : « L’humanité est la nature qui prend conscience d’elle-même » — se revendiquait comme anarchiste, tout comme Kropotkine, qui a montré l’importance des mécanismes de coopération plutôt que de compétition, dans la nature comme dans la société.

Murray Bookchin, à partir des années 1960, a défini le municipalisme libertaire. Pour lui, le gigantisme des entreprises, l’urbanisation accélérée et la toute puissance d’un État hypertrophié, bureaucratisé et anonyme génèrent un grave déclin des valeurs civiques et sociales : « Réduire les dimensions des communautés humaines, suggère Bookchin, est une nécessité élémentaire, d’abord pour résoudre les problèmes de pollution et de transport, ensuite pour créer des communautés véritables. »

Jacques Ellul, le plus vigoureux critique de la civilisation technicienne, se référait si bien à l’anarchisme qu’il a écrit Anarchie et christianisme. Ivan Illich ne se définissait pas comme anarchiste — et je crois bien qu’il ne se définissait pas du tout —, mais toute sa pensée est une critique des effets aliénants de mécanismes sociaux ou techniques qui deviennent contre-productifs dès lors qu’ils dépassent une certaine taille. Il promouvait la recherche de l’autonomie, de la maîtrise de son existence.

Quant à André Gorz, sa pensée, qui est allée du marxisme à l’écologie, a abouti à la recherche d’une émancipation qui impliquait une organisation sociale non hiérarchique : « Aussi n’est-ce pas tant à la croissance qu’il faut s’attaquer, écrivait-il, qu’à la mystification qu’elle entretient, à la dynamique des besoins croissants et toujours frustrés sur laquelle elle repose, à la compétition qu’elle organise en incitant les individus à vouloir, chacun, se hisser “au-dessus” des autres. La devise de cette société pourrait être : Ce qui est bon pour tous ne vaut rien. Tu ne seras respectable que si tu as “mieux” que les autres. Or c’est l’inverse qu’il faut affirmer pour rompre avec l’idéologie de la croissance : Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous. Seul mérite d’être produit ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne. Nous pouvons être plus heureux avec moins d’opulence, car dans une société sans privilège, il n’y a pas de pauvres. »

Toutes ces idées vous sont étrangères, M. Hulot, à vos conceptions comme à votre manière de vivre. S’il vous plait, M. Hulot, soyez ministre, soyez le soldat de M. Macron, amusez-vous avec vos voitures, vos avions et vos kitesurfs. Mais ne parlez plus d’écologie et ne faites plus la morale à personne.


[1Nicolas Hulot, Osons. Plaidoyer d’un homme libre, Les liens qui libèrent, 2015, p. 12.


Source : Reporterre









Autres articles :

  • Oui, il faut cibler les riches pour sauver le climat

  • Le nucléaire n’est pas bon pour le climat - NOTES

  • Quelles priorités pour la gauche ?

  • Jérôme Equer, un journaliste hors normes

  • Quel avenir pour le mouvement des Gilets jaunes ?

  • Gilets jaunes et marche pour le climat : une vague de révolte contre la destruction du monde

  • Le président Macron, figure du néo-capitalisme : tout numérique… et autoritaire

  • Vous ne nous écraserez pas

  • M. Hulot n’est pas l’écologie

  • Les mensonges sanglants de M. Macron

  • Association de malfaiteurs

  • La Zad et la guerre civile mondiale

  • Quand "Tout est prêt pour que tout empire" se joue au théâtre

  • Écologie : maintenant il faut se battre

  • Hubert Reeves : « Plus rien ne nous menace. Sauf nous ! »

  • Jean-Luc Mélenchon : « L’écologie doit être un stimulant d’enthousiasme »

  • Face à l’Etat brutal, les hiboux de Bure manifestent leur sagesse

  • La stupidité autoritaire

  • Déchets nucléaires : il faut que l’État cesse de mentir

  • VIDÉO - À Notre-Dame-des-Landes, la fête de la victoire

  • Découvrir Murray Bookchin, l’écologiste anarchiste

  • Greenpeace : « On veut diviser par deux la consommation de viande et de produits laitiers »

  • Rajagopal : « Pourquoi ne comprenez-vous pas que la justice est plus importante que le profit et la croissance ? »

  • Notre-Dame-des-Landes : et maintenant, gagner la bataille de la paix

  • Bruno Latour : « Défendre la nature : on bâille. Défendre les territoires : on se bouge »

  • L’indépendance, c’est simple : dire non aux puissants, non au mensonge, et s’en remettre au lecteur

  • La centrale de Fessenheim fermera fin 2018

  • Celles qui ont révélé les « Monsanto papers » racontent comment Monsanto triche

  • Débat radio : comment agir face à l’urgence climatique ?

  • Benoît Hamon : « La gauche doit se saisir de la révolution numérique pour en faire un progrès social et humain »

  • Hydrocarbures : le gouvernement a plié devant les intérêts miniers

  • Dix ans après, plus que jamais d’actualité

  • La France insoumise veut s’enraciner dans l’écologie et dans les quartiers populaires

  • 1 % contre les 99 % ? Pas si simple !

  • La suffisante bêtise de M. Macron

  • Ecologie politique, année zéro

  • Le sortilège oligarchique

  • Mr. Trump’s decision on climate threatens world peace

  • La décision de M. Trump de sortir de l’accord de Paris menace la paix du monde

  • Conserver les semences : dans un coffre-fort ou dans la nature ?

  • Bonne chance, Nicolas Hulot

  • Macron, le président du vieux monde

  • « Un essai prenant, incisif et ancré dans l’actualité »

  • Miguel Benasayag : « Le transhumanisme prépare un monde d’apartheid »

  • David Cormand : « La France insoumise a le pouvoir d’empêcher que Macron soit majoritaire à l’Assemblée »

  • La faillite du parti écologiste

  • Danielle Simonnet : « Avec Jean-Luc Mélenchon, nous voulons changer le système »

  • Pierre Rabhi : « Il faut que l’humanité prenne conscience de son inconscience »

  • Pour rouvrir l’avenir, il faut que le PS disparaisse

  • Mélenchon et Hamon : l’enjeu de leur duel

  • Quand nous serons les arbres, les roches, et les oiseaux

  • Nous sommes entrés dans l’anthropocène, affirment des minéralogistes

  • L’asphyxie paradoxale du parti écologiste

  • Entretien avec Barbara Romagnan : « Nous avons à recomposer la gauche »

  • Trois propositions pour changer la donne

  • Ouest-France : "Un essai combatif"

  • Hamon, Jadot, Mélenchon, unissez-vous !

  • La tactique perverse de Manuel Valls contre Benoît Hamon

  • La double surprise Hamon

  • La classe dirigeante la plus stupide de l’histoire

  • La langue de la glaise et des étoiles

  • L’étrange façon de lire du prévisible Laurent Joffrin