L’éditorial de Serge Halimi, dans Le Monde diplomatique d’août 2017, intitulé "Le leurre des 99 %", évoque - pour la critiquer - l’idée que 99 % des gens seraient opposés aux 1 % d’oligarques. Dans Tout est prêt pour que tout empire, je développe cette question :
Les suites de la crise financière de 2008 ont montré qu’il n’y a rien à attendre des « 1 % ». Ils sont enfermés dans leurs fantasmes de toute-puissance. Mais c’est une double erreur de croire que 1 % de la population s’oppose aux 99 % autres. D’abord, les 1 % d’hyper-riches ne sont pas isolés : même s’ils se sont éloignés en termes de richesse des 9 % les plus riches qui les suivent dans la pyramide des revenus – car les inégalités ont fortement crû au sein même du dixième de la population le plus prospère –, ces 9 % restent solidaires des hyper-riches, de leurs valeurs et de leur système de pouvoir. Comme des régisseurs fidèles, ils assurent les fonctions de commandement et d’encadrement de la société, perpétuant le système.
Quant à considérer que les 90 % autres seraient opposés solidairement à l’oligarchie, c’est une autre fiction. La grande majorité de la population est apathique, inquiète, gavée de télévision et de spectacles sportifs, détournée des enjeux politiques par la vacuité du spectacle, tandis que la colère croissante d’une large partie d’entre elle trépigne dans l’abstention ou est détournée pour se porter contre les immigrés et les étrangers. Au demeurant, il faut distinguer une classe moyenne, vaste corps mou et perméable à la vision du monde propagée par les médias dominés – soit environ 60 % des gens – des 30 % de pauvres et de précaires, souvent issus de populations immigrées, qui sont dépolitisés, isolés par la faiblesse des solidarités collectives, faiblesse compensée, de plus en plus, par les attachements communautaires ethniques ou religieux.
Aux 10 % d’hyper-riches et de riches – la caste oligarchique – ne s’opposent donc pas 90 % de la population, mais seulement environ 10 % de citoyens déterminés, au sein des classes moyennes et populaires, qui portent les fronts des luttes écologiques et sociales. Leur capacité à s’unir et à gagner des renforts est évidemment cruciale. Mais en aucun cas elle ne saurait suffire si des membres de l’oligarchie, ces 9 % solidaires des hyper-riches, ne prennent pas parti pour le changement. Liu Xiaobo, écrivain, emprisonné en Chine depuis 2008, observait avec sagacité : « Il est pratiquement impossible de commencer un mouvement populaire de réforme politique de bas en haut sans la participation active et étendue de cette élite sociale. »
Photo : Tag rue Henri Noguères, Paris, en juillet 2017.